J’ai assisté, le 26 octobre 2005, à un séminaire du CÉFRIO sur le transfert intergénérationnel des connaissances. Les chercheurs du CÉFRIO présentaient les résultats préliminaires de leur recherche-action à l’Hydro-Québec (HQ) et à la Régie des rentes du Québec (RRQ). Les représentants des deux organismes nous ont donné leurs témoignages.
L’équipe de chercheurs multidisciplinaires s’est ralliée à l’approche de Jean-Louis Ermine, la méthode MASK (Matta, Ermine et al., 2002) : 1) cartographie des compétences; 2) analyse de la criticité des compétences; 3) mise en place des moyens de transfert. Les résultats préliminaires portaient sur les deux premières étapes de la méthode. La cartographie des compétences a été faite à l’aide de la schématisation heuristique (que j’explique plus loin dans mon carnet du mardi, 17 mai 2005; je donne des cours sur ce sujet) que les représentants de la RRQ ont qualifiés d’outil très utile voire même émancipatoire.
Par ailleurs, je n’ai pas été surprise d’entendre ces mêmes représentants mentionner que déjà certains de leurs informaticiens utilisaient la schématisation heuristique. Je me rappelle qu’au début des années 90, certains informaticiens étaient, eux aussi, les seuls à utiliser Internet et le courriel … sans penser que ces outils pouvaient être très utiles aux autres, leurs clients. Ce comportement de rétention de l’innovation ne semble pas avoir été corrigé. L’analyse de la criticité des compétences permet d’établir, à l’aide de diagrammes de Kiviat (Wikipedia) , celles qui sont essentielles à la survie de l’organisation. Elle permet aussi d’identifier les priorités d’action.
Les témoignages des représentants des deux sociétés ont confirmé l’utilité de l’approche surtout pour identifier les éléments de compétences et pour faciliter la mise en commun et la prise de conscience, par les différents acteurs des projets-pilotes, des compétences sensibles de l’organisation. Ces résultats préliminaires sont motivants pour les praticiens de la gestion des connaissances en organisation. Ils affirment qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des outils sophistiqués pour obtenir des plans d’action ancrés à la réalité de chaque organisation. Les projets-pilotes démontrent que la participation de tous les acteurs est faisable et prolifique.
Par contre, comme dans toute étude, les réponses apportées suscitent aussi de nombreuses questions. De l’aveu de M. Ermine, la recherche ne permet pas d’établir les critères ou les variables permettant de faire la preuve du transfert des connaissances tacites, du savoir-faire, donc de l’atteinte de l’objectif. De plus, selon moi, le transfert des connaissances et le concept de génération sont définis de façon trop large.
Enfin, leur méthode cartographique ne permet pas d’identifier les sources des savoir-faire. Pourtant, les gens de l’HQ et de la RRQ ont mentionné, à plusieurs reprises, l’importance de savoir « Qui connaît quoi? ». Le moyen qu’ils ont utilisé pour y pallier, est un bottin général de compétences de type pages-jaunes. Ils n’ont pas mentionné s’être rendus au niveau du réseautage de ces derniers à travers des mécanismes (semblables à Viaduc) et ainsi savoir « Qui connaît qui qui connaît quoi? » En contrepartie, le professeur Réal Jacob a insisté sur les moyens qui sont probablement les plus efficaces pour favoriser le transfert des connaissances tacites. Ces moyens de transfert seraient ceux liés à l’interaction.
Les prochaines étapes qui visent à identifier les réseaux sociaux et à implanter des répertoires électroniques des connaissances, devraient pallier à la faiblesse des deux premières étapes de l’étude.
Je pense que ma recherche doctorale peut répondre aux questions que suscitent les résultats de ces projets-pilotes. J’ai d’abord défini de façon plus précise le transfert des connaissances. Le transfert des connaissances est leur partage et leur utilisation dans des contextes différents (Argote et Ingram, 2000). Cette définition me donne un outil pour établir la preuve du transfert.
Nos interventions sur le terrain recherchent des éléments qui démontrent que des savoir-faire sont premièrement partagés puis, avec le temps, sont utilisés dans des contextes différents. Je considère aussi que le processus de transfert est la coordination de deux processus de gestion des connaissances (création, partage, utilisation et transfert, Alavi et Leidner, 2001. Je m’approche ainsi du concept de la double-boucle d’apprentissage (Argyris 1977) et de celui de l’actualisation (St-Arnaud, 1996).
J’intègre, dans mon étude de cas participante, la schématisation heuristique et l’analyse des réseaux sociaux. Ce sont mes principaux outils d’analyse de données. Elles constituent l’originalité de ma recherche. Pouvoir voir et comprendre les compétences qui sont intégrées aux réseaux sociaux, facilite le choix des moyens de transfert des connaissances. Ce sont ces mêmes moyens que les gestionnaires en action ont besoin pour gérer les liens, pour coordonner.
Les réseaux sociaux sont des sources collectives de compétences sensibles, là où résident les savoir-faire de l’organisation. Le concept de génération est, à mon avis, la seule faiblesse de l’exposé. Pour ce projet, on doit éviter de parler d’âges mais plutôt englober les cohortes, les groupes liés aux périodes historiques de l’organisation ou tout autre groupe. Alors, pourquoi parler de transfert intergénérationnel? Pourquoi nous mettre en contexte les statistiques sur les départs massifs à la retraite, le choc démographique et autres? Il serait plus simple de dire transfert des connaissances « tout court » car cette problématique n’est pas essentiellement liée à la démographie, aux retraités, etc.
Préparer la relève ne porte pas que sur ceux qui partent ou arrivent mais aussi sur ceux qui cheminent dans l’organisation.